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Bagnes et bagnards suite

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Bagnes et bagnards suite Empty Bagnes et bagnards suite

Message  Admin Mer 17 Juin - 1:13

La vie au bagne
- Les condamnés sont répartis en trois catégories :
 la première est celle des transportés ou condamnés de droit commun (plus de 50 000 condamnés aux travaux forcés envoyés en Guyane entre 1852 et 1938),
 la deuxième grande catégorie est celle des relégués (ou multi récidivistes de petits délits, la peine de la relégation, créée par la loi de 1885 équivalant à un exil perpétuel)
 et enfin la troisième catégorie est celle des déportés (ou condamnés politiques).

- A l’arrivée au bagne, les condamnés sont répartis dans les différents camps, suivant la catégorie à laquelle ils appartiennent.
 Ils sont aussi placés en fonction de leur profession car le fonctionnement du bagne repose sur le travail des condamnés : cuisiniers, boulangers, jardiniers, maçons, menuisiers, tailleurs, infirmiers, tous les corps de métier sont représentés.

- Les condamnés les moins qualifiés ou jugés particulièrement dangereux sont affectés dans les camps agricoles et forestiers.
 Ils sont aussi employés à la construction des routes (dont la tristement célèbre route coloniale n°1, entre Cayenne et Saint-Laurent).
 Les « incorrigibles » sont internés dans un camp forestier
 Les relégués sont regroupés à Saint-Jean-du-Maroni.
 Les infirmes sont classés « aux Impotents » et regroupés au camp des Hattes.
 Les lépreux sont isolés sur l’île Saint-Louis (sur le fleuve Maroni).

- Les Iles du Salut comptent trois îles :
 L’île du Diable, après avoir abrité des transportés puis des lépreux, est désaffectée puis, après la détention de Dreyfus (1895-1899), réservée aux condamnés politiques.
 L’île Royale est le lieu d’internement des condamnés les plus dangereux. On y trouve aussi un hôpital et des bâtiments administratifs.
 L’île Saint-Joseph est réservée à la réclusion et à l’asile d’aliénés.

- Les condamnés sont encadrés par des contremaîtres choisis parmi les détenus et appelés « porte-clefs », qui sont les intermédiaires entre l’administration et leurs co-détenus et assistent les surveillants dans leur tâche de maintien de la discipline.
 Les manquements à la discipline relèvent de commissions disciplinaires. Les peines encourues sont la cellule et le cachot.
 Quant aux crimes et délits commis en cours de peine, ils sont jugés d’abord par des conseils de guerre puis, après 1889 par le Tribunal maritime spécial. Les peines infligées sont la réclusion cellulaire, les travaux forcés et la peine de mort pour les crimes de sang.

- L’organisation du bagne est réglée par une multitude de textes : lois, décrets, arrêtés, circulaires, qui déterminent avec une précision minutieuse le moindre détail de la vie quotidienne : l’habillement, la nourriture, le travail, les punitions.

- A l’arrivée au bagne, les transportés sont répartis en trois classes, qui déterminent leur emploi au bagne.
 Ils commencent le plus souvent leur parcours à la 3ème classe, qui les désigne pour les emplois les plus pénibles (qu’on appelle la « fatigue »)
 Les condamnés de la 2ème classe peuvent être mis à la disposition des entreprises locales.
 Quand le condamné a accompli au moins la moitié de sa peine (et au moins dix ans pour les condamnés à perpétuité), il accède à la 1ère classe et peut recevoir une concession, l’autorisation de faire venir sa famille, être engagé comme salarié chez un particulier (« engagiste ») et être proposé pour des remises de peine.
 Après trois ans à la 1ère classe, il peut obtenir la libération avec astreinte à résidence (la « 4ème 1ère » dans le langage des condamnés).
 Sa survie dépend alors de sa capacité à trouver un travail rémunéré, dans une colonie où la main d’œuvre pénale quasiment gratuite représente une concurrence insurmontable.
 Enfin, quand il a atteint la 4ème catégorie 2ème section, c’est-à-dire qu’il est libéré de l’obligation de résidence, le condamné est libre de rentrer en France, mais il reste un dernier obstacle important : depuis 1868, le voyage de retour est à sa charge ; il doit donc posséder l’argent du passage dans son pécule ou le recevoir de sa famille. Nombreux sont ceux qui meurent en Guyane ou en Nouvelle-Calédonie, faute d’avoir trouvé la somme nécessaire.

- Mais, mis à part l’impossible retour au pays, ce qui fait le plus rêver les condamnés et qui a aussi joué le plus grand rôle dans la mythologie du bagne, c’est l’évasion.
 Les récits de leurs innombrables tentatives d’évasion sont indissociables de l’histoire des bagnards.
 Bien peu réussissent vraiment la « belle », beaucoup disparaissent à jamais ou sont rattrapés et réintégrés au bagne où ils sont alors sévèrement punis.
 Les condamnations supplémentaires infligées pour ces tentatives d’évasion transforment dans les faits leur peine en condamnation à perpétuité et incitent ainsi à de nouvelles tentatives.







Adieu Cayenne ou l’imaginaire du bagne

- Dans un imaginaire qui s’est construit sur plusieurs siècles (si l’on prend en compte tant les bagnes portuaires que les bagnes coloniaux et, à plus forte raison si l’on inclus le temps des galères et - ce qui serait un autre sujet - les bagnes militaires), se déclinent plusieurs registres issus de créations ou de médiations différentes.
 Il y a d’abord la production des hommes punis (chants et poèmes plus ou moins confidentiels)
 puis celles des journalistes et des écrivains qui contribuent à construire auprès du grand public une vision des terres de punition
 auxquels s’ajoute tout ce qui participe d’une véritable culture populaire du bagne et des forçats (chansons, films, bande dessinée, romans policiers...).

L’enfer est au bagne et non pas chez Satan.

- La première référence de cet imaginaire renvoie à une relation récurrente entre le bagne et l’enfer.
 Et le fait que l’une des îles du Salut en Guyane porte le nom de l’île du Diable (qui doit sa dénomination à des croyances des populations indigènes bien antérieures à l’arrivée des premiers européens dans cette partie du monde) n’est pas pour rien dans cet amalgame. Les Américains ayant même baptisé du terme générique de « Devil’s Island » les bagnes de Guyane.
 Et on n’en finirait pas de dresser la liste des articles de presse, des souvenirs de forçats, gardiens, hommes d’église ou de loi, journalistes ou écrivains qui ont usé et abusé d’un vocabulaire renvoyant à Satan et à ses œuvres.
 A l’enfer du bagne de Paul Roussenq (1957)
 répond, deux ans plus tard, Au plus chaud de l’enfer du bagne du surveillant Roger Flotat (1959) et
 La jungle des damnés du journaliste H. Davis (1954) est en écho du journaliste Marius Larique qui, écrivant Les Hommes punis en 1931 arrive à Saint-Laurent-du-Maroni pour préciser : « Nous serons à ce moment dans l’Enfer... »

- Les chants directement issus du bagne sont parmi les premiers reflets de cette vision désespérée (au sens quasi théologique du terme où l’on efface des existences « le mot que le doigt de Dieu écrit pourtant sur le front de tout homme : Espérance » V. Hugo, Les Misérables, édit de la Pléiade, p. 96).


L’idée de l’enfer est présente en Guyane dans le chant de l’Orapu, cet hymne anonyme des transportés dont les paroles se diffusent à la fin du XIXe siècle et qui déclare en ses troisième et quatrième couplets :

Chacun pour le travail s’arme d’une bricole
Et dans la forêt sombre s’avance en titubant.
L’on dirait des démons, la sarabande folle.
Car l’enfer est au bagne et non pas chez Satan.
L’on franchit les rouleaux, on tombe, on se relève.
La vase et les chicots, rien ne doit nous lasser.
Pour nous l’on ne connaît que ces mots, marche ou crève.
Le Loire porte en ces flancs de quoi nous remplacer

Police mag (3 mai 1931)
Fatalitas où le destin selon Chéri-Bibi.

- Si l’on est dans l’enfer du bagne ou qu’on s’en approche c’est que le destin l’a voulu. La terrible destinée des pauvres, des malheureux et des malandrins doit s’accomplir pour que l’ordre reste établi et la propriété sauvegardée.
 Certains en réchappent dans les récits édifiants des romans feuilletons du XIXe siècle mais le public populaire ayant appris à lire grâce aux écoles de la IIIe République va faire un triomphe à une figure de forçat dont les malheurs, la violence et les pensées libertaires émeuvent et amusent.
 En 1913, Chéri Bibi façonné par Gaston Leroux rencontre son lectorat avec ce héros qui conclue par l’expression « Fatalitas » les coups terribles que lui assène le destin.
 Le succès vient aussi d’une utilisation de l’argot qui met en connivence l’auteur et le public et dont témoigne la chanson des compagnons de Chéri Bibi en route vers la Guyane :

Dans l’raisiné, qui trimarde / Qui qui qu’a fait jacter la bavarde/ Qui qui fout l’taf à Tout-Paris ?/ C’est Chéri !/ La Républiqu’nous emberluche !/ Du bois de Boulogne à Pantruche,
Qui qui fait sauter tout l’fourbi ?/ C’est Chéri-Bibi ! C’est Chéri-Bibi !
Et la description que fait Gaston Leroux de l’univers du bateau-cage est à compter parmi les textes mythologiques de présentation de forçats : « ... les cinquante bandits qui se trouvaient entassés dans cette cage se levèrent d’un bond : masques tragiques, les uns blêmes, les autres verdâtres, joues creuses et yeux brillants, tête et face rasées, tous vêtus du même bonnet carré, veston et pantalon de grossière étoffe brunâtre, épaisses chaussures jaunes. Au bras ; l’écharpe avec le numéro, car ils n’ont plus de nom pour l’administration. Et ils s’alignent en se bousculant (...) les gardes-chiourmes sont des âmes damnés, injuriant et frappant le « rigolo » toujours prêt à partir comme s’il étouffait des balles qui lui bouchaient la gueule, comme s’il avait besoin de se soulager de sa poudre et de ses « éclairs rentrés ». Elle se grouille un peu la pègre, sous la bousculade des gardes-chiourmes. » (G. Leroux, Chéri-Bibi, réédition coll. Bouquins, R. Laffont, Paris, 1990, p. 6).
Le thème du premier épisode de la saga de Chéri-Bibi - Les cages flottantes - évoque la révolte puis le contrôle d’un bateau pénitentiaire par les forçats qu’il transporte avant qu’il ne soit coulé par un navire de guerre français lancé à sa poursuite ; La crainte fantasmatique de la prise de contrôle par les forçats d’un navire pénitentiaire parcourt ainsi des décennies d’histoire de la Transportation,
La plupart des formes artistiques ont ainsi utilisé le héros de Gaston Leroux au fil des décennies. Les Premières Aventures de Chéri-Bibi ont d’abord paru en 120 feuilletons quotidiens dans Le Matin du 7 avril au 4 août 1913. La suite, La nouvelle Aurore se poursuit après-guerre en 110 livraisons toujours dans Le Matin entre le 18 avril et le 7 août 1919. Enfin Le Coup d’Etat de Chéri-Bibi est publié en 81 épisodes entre le 16 juillet et le 4 octobre 1925, sous le titre initial de Chéri-Bibi, le marchand de cacahouètes.

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