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Message  Lucie Mar 21 Avr - 12:49

II… qui donne à l’UE l’occasion de préciser ses fondements idéologiques et son identité

A- Des réticences persistantes

Le dossier turc se caractérise par une âpreté des débats car il suscite de vives passions. Il s’agira donc ici d’évoquer les réticences et les arguments avancés par les opposants de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne.

Le premier argument relève de la géographie. Lorsque l’on prend un planisphère sous les yeux, l’argument est éblouissant d’évidence : la plupart du territoire turc s’étale sur le continent asiatique et l’on voit ainsi mal comment la Turquie pourrait prétendre être un pays européen et par extension, être membre de l’Union Européenne.
Or d’éminents géographes tels que Jacques Levy récusent l’idée selon laquelle les frontières de l’Europe seraient établies de façon claire et immuable. En effet, les frontières de l’Europe prises comme référence sont délimitées par l’Oural à l’Est. Or, il ne faut pas omettre que cette frontière a été proclamé par le Tsar Pierre Le Grand afin de s’inviter dans le concert des grandes puissances Européennes. Mr Giscard d’Estain fait également souvent référence à la délimitation antique de l’Europe et de l’Asie faite par les grecs et dans laquelle la région turque serait exclue. Il pense ainsi ériger en argument irréfutable ce qui n’est en somme qu’un effet toponymique. « La géographie n'est pas un argument, mais ne fait qu'enregistrer la façon dont, à une époque, une partie de l'humanité désigne un partie des terres émergées. Or, en ce moment, depuis quelles années, le mot Europe change de sens. ». Pour avoir une perspective historique ,il faut également rappeler que durant le XIXe siècle, l’Empire Ottoman était qualifié « d’homme malade de l’Europe ». Il ne peut donc y avoir un argument géographique qui puisse justifier un projet politique. A plus forte raison lorsque l’on sait qu’il s’agit de l’Union Européenne qui n’a cessé de repousser les frontières. Mr Poncet estime en outre que « Si les européens considèrent qu'il est mieux pour leur prospérité, ou tout autre de leur objectif, que la Turquie adhère à l'Europe, bénéficie des aides liées et contribue en fonction de ses possibilité, alors ce choix doit être mis en œuvre. Si au contraire les européens ne trouvent pas cela souhaitable car inefficace pour atteindre leurs objectifs, alors elle reste dehors. »

Le deuxième argument opposable à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne est à situer sur un plan culturel. Lorsqu’il s’agit d’évoquer le sujet, le journal le Figaro fait constamment référence aux racines judéo-chrétiennes de l’Europe. Dans un article paru dans le Monde, Mr Ramadan fustige cette vision étroite de l’Europe. Reprenant à son compte les idées préalablement exposées, Mr Ramadan estime que personne ne peut être dupe du fait que les contours de l’Europe sont actuellement redessinés à des fin idéologiques et politiques. Selon lui, le véritable frein de l’adhésion de la Turquie dans l’Union Européenne provient de la peur des Européens à l’égard de l’Islam. Pourtant, il rappelle que de nombreux musulmans vivent dans les pays Européens, faisant ainsi de l’Islam une religion Européenne de facto. Il invite donc les politiciens européens à passer outre cette peur car des enjeux économiques et géostratégiques importants gravitent autour de l’adhésion de la Turquie à l’UE et il serait dangereux de les occulter.

Le troisième argument est d’ordre politique et historique. La Turquie est toujours en délicatesse avec les arméniens et les Kurdes. En effet, les dirigeants turcs s’évertuent à ne pas reconnaitre le génocide arménien. Face à l’immobilisme du gouvernement, une initiative citoyenne a vu le jour et par le biais d’une pétition des milliers de turcs ont solennellement demandé pardon au peuple arménien pour le génocide. Les relations entre les deux pays semblent également s’améliorer puisque les chefs d’Etats des deux pays ont assisté côte à côte à la rencontre opposant l’Arménie à la Turquie dans le cadre des éliminatoires de la Coupe du Monde 2010.
En outre, les discriminations subies par les Kurdes soulèvent la question de la place accordée aux minorités par l’Etat turc. En effet, la télévision Kurde n’émet que par intermittence et l’enseignement dans la langue Kurde demeure toujours problématique.

B- Critères d'adhésion et perspectives d'élargissement

En plus de réveiller les oppositions idéologiques à l’entrée de la Turquie dans l’UE, l’actualité remet en avant la crise de l’élargissement de l’Union, confronté à des problèmes institutionnels et stratégiques.

Depuis son origine la communauté européenne a été conçue comme une construction ouverte : l’article 49 du Traité sur l’Union Européenne indique que « tout Etat européen qui respecte les principes énoncés à l'article 6, paragraphe 1, peut demander à devenir membre de l'Union ». « 1. L'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'État de droit, principes qui sont communs aux États membres. ». Les critères d'élargissement dits critères de Copenhague, définis en décembre 1993 définissent les critères que tout état européen qui veut être candidat doit présenter :
-des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme ainsi que le respect des minorités et leur protection
-une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché intérieur de l'Union
-la capacité d'assumer les obligations découlant de la qualité d'Etat membre, notamment le respect des objectifs politiques, économiques et monétaires.
Depuis le conseil européen de Madrid en 1995 les pays candidats doivent être en mesure d'appliquer les règles et procédures communautaires. Ils doivent donc adapter leurs structures administratives pour appliquer la législation européenne.
En décembre 2006 le Conseil européen a renouvelé son consensus autour de principes dont celui de la consolidation de la capacité à intégrer de nouveaux membres. « L'élargissement a été un succès pour l'Union et l'Europe dans son ensemble ». Il assure la paix, la stabilité, il consolide les réformes sur le principe des libertés, de la démocratie, de l'Etat de droit et de l'économie de marché. La prospérité et la compétitivité ont été étendues. L'UE est devenue un partenaire puissant sur la scène internationale.
L’élargissement est donc un principe fondamental et fondateur de l’Union et celle-ci se doit d'être en mesure d'intégrer de nouveaux pays en adaptant ses institutions et ses financements pour qu'ils demeurent efficaces et fiables.

L’adhésion d’un pays procède ainsi : à la suite d'une décision unanime du Conseil d'adopter un mandat de négociations celles ci sont ouvertes avec le pays candidat. A l'aide de partenariats pour l'adhésion l'UE détermine les réformes et adaptations à entreprendre. La réglementation de l'UE appelée acquis n'est pas négociable. Les pays conviennent avec le candidat du calendrier et des moyens pour le mettre en place. Cet acquis regroupe 35 chapitres thématiques qui font objet de négociations. De plus, le pays candidat doit suivre des critères de références c'est-à-dire respecter des conditions avant d'ouvrir puis de fermer les différents chapitres.
La Commission définit les critères de référence et fournit des rapports réguliers sur les conditions à remplir pour continuer la progression. Elle surveille les progrès réalisés en matière d'application de la législation communautaire et des engagements pris.
Les négociations avancent au fur et à mesure que le pays candidat entreprend ses réformes. Il suit un plan d'action assorti d'un calendrier définis par les partenariats avec l'UE.
Rien n'est approuvé tant que tout n'est pas approuvé à l’unanimité. Lorsque les négociations sont closes, un projet de traité d'adhésion décrit les différents accords établis. S'il est accepté par la Commission, le Conseil et le Parlement, il est signé par tous les pays puis ratifié.

L’élargissement de l’UE entre dans une nouvelle phase, après l’ouverture, en 2004, à 10 nouveaux membres qui a marqué la réunification définitive de l'Europe de l'Ouest et de l'Est. Maintenant les élargissements concernent le Sud Ouest du continent.
Le 3 octobre 2005 l'UE a ouvert des négociations avec la Croatie en plus de la Turquie. Le 16 décembre 2005 l'ancienne République yougoslave de Macédoine s'est vue reconnaître le statut de pays candidat.
L'Albanie, la Bosnie Herzégovine, la Monténégro, la Serbie et le Kosovo sont reconnus comme pays candidats potentiels. Un processus de stabilisation et d'association a été engagé auprès de ces pays pour les rapprocher de l'UE, de ses principes démocratiques et économiques et de ses normes.
Un instrument d'aide de préadhésion a été instauré en 2007 pour aider plus efficacement les pays candidats. Il aide à la transition et au renforcement des institutions, il finance la coopération transfrontalière, le développement régional, le développement des ressources humaines et le développement rural.

Cependant, une réforme institutionnelle est nécessaire : la ratification du traité de Lisbonne permettrait d'améliorer le fonctionnement institutionnel de l'UE à 27 et plus, en élargissant le champ d'application de la procédure de codécision, en renforçant le vote à majorité qualifiée et en maintenant la règle de double majorité.
Lors du Conseil européen des 19 et 20 juin 2008, Sarkozy avait indiqué que l'élargissement de l'UE serait interrompu si le texte n'était pas ratifié. Cette position ne fait pas l'unanimité mais montre la difficulté pour les anciens pays membres à accepter de nouvelles adhésions qui apportent de nouveaux défis à l’UE. Différents points sont impliqués dans la poursuite de l’élargissement dans l’état actuel des institutions:

- L'avenir du budget communautaire : tous les nouveaux pays sont des bénéficiaires nets (ils touchent plus qu'ils ne versent). L'extension a maintenant un prix. Pour le budget 2007-2013 les contributeurs nets (tels que la France ou l’Allemagne) ont demandé à ce que la contribution soit limitée à 1% du PIB.
- Les impacts économiques et sociaux et la capacité d'absorption : il y a des écarts considérables au sein de l'UE entre les salaires moyens et les seuils de pauvreté, ce qui crée une concurrence en défaveur des pays les plus riches. La libre circulation des travailleurs et l’immigration posent aussi problème. Définir des normes sociales applicables à tous devient très difficile. De plus, s'élargir vers les pays du sud ouest pose le défi de créer un Europe plus sociale face à l'hétérogénéité des histoires nationales.
Il faut donc réfléchir sur la capacité d'absorption de l'UE c'est-à-dire savoir « si l'UE peut accepter de nouveaux membres et continuer à fonctionner efficacement » comme l’indiquait le commissaire en charge de l'élargissement en 2006.
- Définir des à l'Europe ? Critères géographiques ou considérations géopolitiques ? Entre la Politique Européenne de Voisinage (PEV) appliquée aux pays qui n'ont pas de perspective d'adhésion à l'est, en méditerranée et en Asie centrale, et l'union pour la méditerranée lancée en juillet 2008, des liens étroits sont assurés avec ces pays sur la base de la coopération qui exclut ainsi l’adhésion. Dans le cas de la Turquie, reconnue comme pays candidat, la question géographique ne doit plus se poser car l’article 49 n’admet comme pays candidats que les pays européens.

Conclusion : Il est certain que l’UE doit se demander où doit s’arrêter sa politique d’élargissement, au profit d’autres moyens de coopération tels que la PEV, dans le but de s’assurer un bon fonctionnement pour rester un acteur essentiel sur la scène internationale, c’est-à-dire un seul corps aux objectifs communs. Dans cette réflexion le statut de la Turquie est nécessairement mis en jeu. Ce pays à la position stratégique, aux volontés orientées dans le sens des valeurs de l’UE mais qui effraye les pays européens par son poids même et les divergences culturelles qui peuvent se poser, est la pierre d’achoppement du processus d’élargissement de l’UE. Pour se positionner réellement et sincèrement en faveur ou non de l’adhésion turque, les 27 doivent examiner ce qui fonde leur lien au sein de l’Union, à savoir la volonté d’améliorer le bien être de chaque citoyen européen et de défendre la démocratie et les droits de l’homme dans le monde. On ne comprend alors plus bien pourquoi, si les efforts turcs se poursuivent dans ce sens, une UE incluant la Turquie n’est pas possible, puisqu’elle ne fait que poursuivre les positions communes affichées par l’Union.

Lucie

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Date d'inscription : 19/10/2008

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