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Permiers mai dans le monde

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Message  Lucie Mer 3 Juin - 11:53

Premiers mai dans le monde

Le congrès socialiste international de Paris du 14 au 20 juillet 1889 a décidé d’organiser « une grande manifestation à date fixe, de manière que (…) les travailleurs mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit heure la journée de travail ». Le Premier mai se veut donc un mouvement international, simultané et universel. Il doit donner un nouvel élan aux jeunes mouvements de revendication. La plus grande latitude est laissée à chaque section pour déterminer ses modalités d’action, tant quelle est revendicative. La date du Premier mai se rattache à l’expérience américaine des grèves de mai, et présente une extériorité pour chacun des Etats utile à l’universalité du concept.

I Des types nationaux

A) Les premiers Premier Mai
Succès certain mais les facteurs unificateurs (solidarité internationale) sont dépassés par les facteurs de différentiation nationale (nature des Etats, rapports avec les organisations ouvrières, conjoncture politique). 3 cas de figure :
- Les trade unions et le SPD sont des organisations anciennes et dotées de fortes ressources qu’elles ne veulent sacrifier pour une action symbolique. Ils rejettent la grève générale et reportent au dimanche la manifestation. En effet, les trade unions privilégient la négociation à la grève dans un système libéral. Londres accueille des manifestations d’ampleur exceptionnelle mais la province est faiblement touchée et de nombreuses démonstrations dissidentes sont mises en place. Le SPD quant à lui sort grandi d’une période de répression de l’Etat allemand, il préfère donc éviter les conflits. Dans la tradition ouvrière allemande, il privilégie les cortèges festifs et périurbains, qui se veulent le lieu d’émergence d’une culture alternative.
- En France, les guesdistes veulent contrer les pratiques d’intégration politique instituées par les républicains qui font obstacle à l’autonomisation politique de la classe ouvrière. Ils ont ainsi besoin d’un pôle intégrateur et identitaire tel que l’internationalisme. Les manifestants en costume de travail donne l’image d’une classe ouvrière s’affirmant pour telle mais soucieuse de discipline et de légalité.
- En Belgique, comme en Allemagne, le 1er mai doit être non pas un jour de grève mais une fête du travail. Les sections locales du POB sont cependant libres dans l’organisation du jour dit. En 1890 le POB s’engage dans un campagne pour le SU et s’empare du premier mai 1891 pour faire une grève générale non pas pour les 8h mais pour le SU.

B) Les facteurs nationaux d’évolution
Les caractères du Premier Mai dépendent de la nature de l’Etat et de son réformisme plus que des rapports parti/syndicats.
- En Grande-Bretagne le libéralisme continue d’empêcher les trade-unions de prôner la grève générale mais empêche aussi le gouvernement de contrer les mouvements ouvriers. Le Premier mai conserve sa puissance jusqu’en 1896 puis décline et renaît au tournant du siècle à l’initiative de l’ILP et du Labour. Ses démonstrations de province gagnent en ampleur mais demeure inférieure aux pays voisins.
- En Allemagne, après le congrès de Gotha en 1896 qui déclare le chômage général comme la forme la plus digne du Premier Mai, jour de fête et de combat, parti et syndicats marchent d’un même pas. Après la révolution russe de 1905 le Premier Mai croît encore davantage et devient l’occasion de grève généralisées, que le SPD soutient financièrement.
- En Belgique, alors que le POB obtient 20% des voix en 1894, il cherche à désamorcer le potentiel révolutionnaire du Premier Mai. Un projet de loi en posé pour rendre ce jour férié, en vain. Le parti tente alors d’inscrire l’événement dans le cadre de la subculture, comme en Allemagne, en le transformant en une fête artistique organisée par les coopératives et les Maisons du Peuple.
- La situation française est bien différente. L’Etat républicain déçoit par sa forte répression et son libéralisme. En 1891 les cortèges sont interdits, la répression se solde par les morts de Fourmies. Les guesdistes, victorieux en 1893, subordonnent le Premier Mai aux objectifs électoraux, mais ils sont contestés. Les divisions empêchent durant longtemps l’organisation de grèves générales, les appels cessent d’être nationaux et deviennent locaux. Malgré la volonté guesdiste de faire du Premier Mai un contre 14 juillet, la symbolique et la sociabilité républicaine dominent (Marseillaise, drapeau tricolore, banquets…). Il faut attendre 1904 pour que la CGT revendique le leadership de la journée, en banc d’essai de la grève générale. L’environnement grévistes redevient alors supérieur à celui de 1890. Le CGT capte l’héritage du Premier Mai, s’inscrivant dans la filiation directe des journées américaines, tandis que la SFIO ne s’y oppose pas, gardant une implication locale. Jusqu’en 1905 la région parisienne voit peu de manifestations se dérouler, du fait d’un fort maintien de l’ordre public et de fortes divisions, tandis qu’au contraire des régions où l’implantation socialiste est faible voient s’organiser des actions instantanées, peu unifiées au niveau national. A partir de 1905, l’impulsion de la direction confédérale permet d’unifier les modes d’actions. Pour se démarquer d’une dominante symbolique républicaine, les socialistes ont rapidement inventé des symboles spécifiant les principes universalistes de classe (drapeau rouge, Internationale).

II Un principe unifiant

Les contemporains avaient le sentiment d’une unité, grâce à un système de représentation (images, chants…) unifiant. Les directives du congrès de Paris se donnèrent pour but d’unir les « ouvriers des deux mondes ». Les objectifs du Premier Mai, d’abord de réclamer les journée de 8h puis le socialisme et la paix, confèrent un caractère plus politique à la journée et permettent de dépasser le cadre national. Le message internationaliste est accepté de tous et explicite dans les manifestes des sections nationales. Des symboles unificateurs d’origine nationale et internationale se mêlent et permettent de décupler la puissance de toute action inscrite dans le cadre international. Hobsbawm parle de l’irruption d’une tradition qui est celle de la grève et de la fête, non prévue par le congrès mais qui permet de dépasser les clivages nationaux et de les intégrer dans des universaux qu’ils contribuent à construire.
La grève et le respect de la date du Premier Mai s’imposent petit à petit aux trois pays continentaux. La coutume ouvrière faisait déjà du mois de mai un mois de revendications. Les cultures de branche, spécifiques, se retrouvent entre les trois pays et permettent des rapprochements transnationaux. L’irruption de la fête, qui tente d’imposer le seul jour férié qui en soit religieux, est facilitée par la préexistence des coutumes populaires de festivités en mai. De plus, tout comme « feiern » signifie en allemand aussi bien chômer que fêter, l’organisation de grève matérialise l’existence d’une parcelle de liberté conquise par les travailleurs eux-mêmes. La fête devient l’occasion de gestation d’une conscience et d’une mémoire collective. La figuration intellectuelle du socialisme descend dans la rue et devient saisissable aux hommes par les sens.
Le Premier Mai constitue un temps fort dans la construction d’une culture de classe unificatrice, grâce au fait que les partis et syndicats admettent le principe de la grève en tant que symbole universel. Cette culture de classe emprunte aux formes de sociabilité politique de chacune des cultures nationales. En France la révolution et ses symboles sont à la fois modèles et contre modèles. En Belgique la religion joue ce même rôle. Le Premier Mai y est place sous le signe du renouveau, qui apporte à l’homme espoir et réconfort. On utilise le vocabulaire de l’Eglise mais cette dernière est critiquée. En Allemagne le Premier Mai est mis en relation avec les fêtes et les mœurs populaires. Des images universelles émergent aussi, grâce aux symboles, tels Marianne ou la Marseillaise, qui circulent entre pays. Le rêve du futur émancipateur est partout développé. Tandis qu’en France l’Internationale pénètre dès avant le XXe siècle, il faut plus attendre dans les autres pays. Aux côtés de l’allégorie féminine se développe la représentation de l’ouvrier, fort et droit, opposé au capitaliste oisif. Ainsi, une unité mythique est atteinte dans l’imaginaire, au travers même de la diversité des modalités d’actions, qui permet une élasticité et une insertion dans la culture locale des symboles internationalistes.
Le Premier Mai sert de point de départ à de grands mouvements de grève. En Allemagne, il permet la coordination des syndicats. Le Premier Mai y devient dépendant des choix du parti et son autonomie reste seulement culturelle. C’est alors la production culturelle qui produit le mythe. En France, l’autonomie du Premier Mai vis-à-vis de structures organisationnelles est longtemps plus forte, du fait de la lente structuration du mouvement ouvrier et du faible taux de ses adhérents. La journée permet l’unité au niveau local cependant. C’est ainsi dans la pratique, et moins par la production culturelle, que le mythe s’élabore. L’image de l’avenir radieux se confond avec le mythe de la grève générale.

Conclusion

L’appel du congrès de Paris n’impliquait aucun primat syndical dans l’organisation du Premier Mai, il les a toutefois profondément marqué. C’est lui qui fait surgir la grève, rassemble les foules à Londres. En retour, le Premier Mai a permis aux syndicats allemands de s’unifier.
La dimension internationale contribue à la déconstruction des modèles nationaux. La culture ouvrière se mue en culture de classe et constitue des mythes émancipateurs, en se basant sur des représentations communes du travail et de son avenir.
Les modèles nationaux demeurent cependant perceptibles dans les directives des organisations dominantes. En Grande Bretagne le primat des trade unions répond de l’absence durable de grève le 1er mai et du déclin de la mobilisation. En Allemagne et Belgique le mouvement syndical impose la grève mais celle-ci se subordonne aux stratégies des partis. En France, la grève connaît un déclin jusqu’en 1904, où les rapports parti-syndicats se définissent enfin : la CGT constitue alors un parti alternatif à la SFIO et reprend les grèves.

Lucie

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Date d'inscription : 19/10/2008

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